Les tissus sont un langage, une mémoire, une médecine symbolique aussi. C'est un tout premier apprentissage que d'apprendre à lire un textile kallawaya comme on lirait un livre. Le cheval, c'est le tonnerre. Le losange rayonnant portant au centre ce qui semble être parfois un œil, c'est le soleil, représenté différemment selon l'une ou l'autre des quatre phases de son parcours céleste ou souterrain. Les parités animales et les symétries rappellent le principe de complémentarité des dualités du monde. Le Wajra Pallay est un symbole formé par deux triangles aux terminaisons en spirale qui représente les trois mondes. Il fait également office d'amulette pour la fertilité et c'est pourquoi les femmes kallawayas le portent souvent sur leurs winchas, ces bandeaux constituant une partie de leur coiffe. Les tissus ont également des "yeux", ñawis, extensions de ceux qui les portent... Au Musée des Textiles Andins Boliviens de La Paz (MUTAB) auquel j'emprunte les photos ci-dessous, les guides parlent avec art et passion de cet univers en soi que constituent les textiles andins. Le monde lui-même n'est-il pas une trame où se tissent les vies ? Et n'est-ce point par les arts du tissage que la femme kallawaya s'initie aux mystères qui l'entourent ?
Sans les plantes toutefois, point de teintures pour les fils de laine et encore moins de médecine. Les kallawayas sont de grands spécialistes de la médecine végétale, tant andine qu'amazonienne. L'initiation par le tissage permet aussi aux femmes de se familiariser plus profondément avec les variétés de plantes qui les entourent. Comment faire le bleu, le rouge, le jaune ? La femme kallawaya est sans aucun doute maîtresse des couleurs et mémoire vivante des plantes, des animaux et des traditions de son peuple. Tous les vêtements et tissus kallawayas sont l'oeuvre de ses mains. C'est donc une fonction cruciale que le tissage dans la transmission des symboles et des savoirs ancestraux. Fonction cruciale de la femme car point de mémoire de la culture sans elle. Le maître kallawaya se tourne d'ailleurs souvent vers sa femme ou sa mère afin de connaître le bon dosage d'une médecine dont il est incertain. L'usage de la plante est "magique" tout autant que chimique. Ainsi, la plante abortive Yrwa uña sert avant tout à faire un bain rituel pour la petite fille, afin de la protéger pour plus tard, pour qu'elle ne tombe pas enceinte prématurément et n'éveille pas trop vite le désir des hommes. Mais attention à ne pas la rendre repoussante, voire stérile ! Il y a donc une double fonction aux plantes, voire un triple usage, si l'on tient compte de leurs vertus psychiques déterminantes (cf. par exemple ceci ou cela). L'apprentissage premier s'en tient toutefois au plus classique avec sobriété : Chilka pour les hématomes, Willy pour faire baisser la température, Muña comme diurétique, mais aussi pour les coups de froid, Pampaquiswara (mélangée à la Mamanlipa) pour soigner certaines infections de la matrice, zapatilla contre les diarrhées... ce sont là les premières choses qu'apprend un enfant kallawaya en écoutant son père et sa mère parler des plantes. C'est dire à quel point il sera savant en cet art une fois adulte, si tant est qu'il reste au village et ne cède pas trop tôt aux sirènes de la ville, interrompant l'apprentissage... La connaissance des plantes est considérée dans les Andes comme la première étape du long processus visant à former le "technicien" du sacré. Le reste ne vient qu'ensuite, suivant un ordre hiérarchique établi depuis des siècles. Celui qui peut le plus peut donc nécessairement le moins : tout praticien andin du sacré, qu'il soit paqo, yatiri, pampamisayoj ou kallawaya est également "médecin" et doit connaître l'usage des plantes guérisseuses. C'est la base initiale de sa formation aux savoirs ancestraux.
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