La Magie Inconnue est l’insondable en action. Jean-Luc Colnot a passé de nombreuses années à démontrer le lien inviolable entre certaines formes de magie et la mystique, se mettant ainsi en marge des «autorités» des deux camps.
Pourquoi les saints seront-ils toujours plus doués pour les miracles que les magiciens, qui pourtant y prétendent et le claironnent ? La réponse est simple. L’enseignement du dragon nous a mis sur la piste d’une compréhension technique et ontologique du positionnement mystique. Si le mystique, dans le christianisme, obtient des dons ou possède des pouvoirs, c’est non par inadvertance et accident, mais en vertu d'un positionnement ontologique clair et précis.
Certes, un mystique ne semble guère se préoccuper du pouvoir et ne tente pas non plus de manipuler des forces cosmiques afin d’obtenir des effets particuliers conformes à sa volonté. Mais c'est là toute l'efficacité technique de son placement du point de vue magique. De part la relation que le mystique établit avec le non-moi, c'est-à-dire dans l'oubli de sa volonté propre, l’effet du retournement de la conscience, le “ne pas faire des choses”, produit de nombreuses manifestations magiques, que l’on nomme miracles dans le cas du mystique. Ce qu'on appelle les pouvoirs, ou simplement la mise en activité des forces de l’univers, apparait donc comme accueilli par cette racine fondamentale, dénuée de réflexion et d'intention.
C’est ce que nous nommons la magie du sommeil profond ou magie inconnue.
Déclinés abondamment dans les écrits de Jean-Luc Colnot, des termes tels que : être sans être, vouloir sans vouloir, faire sans faire, non négation, vide de vide, conscience sans conscience, connaître sans savoir... renvoient à quelque chose de trés précis et sont autant de variations subtiles d'une même opération : la veille du sommeil profond et le sommeil profond de la veille, celui-là même que les yoguis hindous appellent jagrat-sushupti (de jagrat, veille et sushupti, sommeil) et que Saint-Bernard nomme joliment : vigilant sommeil.
Les écrits mystiques occidentaux sont remplis d'expressions, indicatrices de cette opération. “Je dors mais mon coeur veille”, s'exclame le Cantique des Cantiques, unissant veille et sommeil. Dans le Livre Divin de Attar, l'Aimé, qui représente la veille, ne tarit pas d'éloge sur le sommeil de son Ami Ayaz : “ Merveille de beauté, maintenant que tu es revenu à toi, je m'en vais. Dans le sommeil tu étais inconscient, tu étais au-dessus des éloges possibles. Mais aussitôt que tu revins à toi l'aimé disparut.” C'est l'instant amoureux où la conscience devient indésirable, comme dans l'adjuration du Cantique des Cantiques : “Je vous adjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, n'éveillez pas, ne réveillez pas ma bien-aimée“. Cette dormition de l'âme, voie mariale par excellence, dirait le chrétien, est la mise en abîme qui rend sensible au-delà du sensible et connaissant de ne plus savoir. Elle trouve son point culminant dans la mystique apophatique de Denys qui ouvre toutes grandes les portes de l'Inconnu : “C'est cette parfaite inconnaissance, prise au meilleur sens du mot, qui constitue la connaissance vraie de celui qui dépasse toute connaissance.”
Mais du coté des magiciens occidentaux, la peur de découvrir qu'on est rien d'objectif, l'angoisse que suscite l'impossibilité de saisir l'inconnu par la seule force de l'imagination et de la volonté a réussi à occulter complètement l'arcane du vigilant sommeil qui accomplit sans faire. C'est pourquoi, lorsque les mages et sorciers occidentaux s'interessent aux états de conscience, ils semblent n'avoir plus d'interêt que pour l'état de veille ou pour l'état de rêve et leurs variations, c-à-d des états centrés sur la forme et le nom. La connaissance du sommeil profond est quant à elle complètement omise.
C'est sans doute l'apport majeur de cet ouvrage que de réintroduire l'arcane du vigilant sommeil dans le champ opératif de la magie, où l'art du grand oubli est une opération si nécessaire. Jean-Luc Colnot n'en donne pas l'explication, il en applique seulement le principe, le montre jusqu'à l'incruster dans la forme même de son écriture, attirant toute notre attention.
La Magie Inconnue commence donc précisément à ce carrefour. Orné d'oxymores, le vigilant sommeil, l'obscurité lumineuse où l’âme sans étude apprend et connaît mieux, se base essentiellement sur des mises en abîme et l’oubli de toutes choses connues ou intentionnelles.
Rappelons ce que sont la mémoire et l'oubli. Selon les traditions mystiques anciennes, la mémoire n'est pas un simple entrepôt où s'archivent en vrac nos souvenirs. C'est un centre de tri où les éléments sont classés par ordre d'usage et de réactualisation possible.
Or, le classement le plus important, la dignité la plus élevée de la mémoire est la chambre noire de l'oubli. La faculté la plus active de la mémoire, c'est l'oubli.
Des chrétiens comme Jean de la Croix ont toujours vu cela et entraîné la faculté de mise en oubli comme nécessaire à l'expérience mystique : “En toutes les choses qu'il ouïra, verra, sentira, goûtera, ou touchera, n'en faire aucun registre particulier, ni réserve en la mémoire, mais qu'il les laisse aussitôt s'oublier. Qu'il s'y mette avec l'efficacité, si c'est nécessaire, que d'autres mettent à se souvenir”.
Du côté de la magie, la capacité à mettre en oubli une opération est également très importante, puisqu'elle constitue le lâcher-prise nécessaire à sa projection. Mais faute de connaissances techniques et d'entraînements à la faculté d'oubli et au vigilant sommeil, nombre d'opérations magiques échouent.
Dans la même optique et pour revenir aux fameux pouvoirs magiques, il est clair que moins nous souhaitons les développer, tandis que nous avançons en territoire numineux, plus ceux-ci se renforcent dans le “ne pas faire” de leur développement, jusqu'à atteindre ces instants de miracles qui font la vie des saints.
L’oubli conscient d’une volonté la redirige vers un champ de possibles plus ouvert que celui de la conscience personnelle (ou égo). C’est ce que nous nommons tirer une flèche magique, dans le sens de cette tradition. Le déploiement oublieux d’une non-intention ou intention-fine dans le domaine des possibles, avec bien entendu toute la technicité requise (c'est-à-dire notamment en identifiant tous les phénomènes de récupération), permet d’obtenir des changements conformes au Vouloir Vrai. Dans la tradition du dragon, Il faut donc entendre le terme d'efficacité magique comme la juste réponse de l’univers à l'expression non-volitive et non-localisée.
Certains diront qu’il suffit de s’abandonner aux « vents cosmiques du vide », afin de maîtriser cette magie. Dormir ce que nous faisons suffirait à rajouter le poids ontologique de l'absence de localité à nos actes. Ignorer la magie suffirait à se l'approprier. Bien entendu, cela n’est pas aussi simple et la Magie Inconnue n'est l'excuse d'aucune de ces paresses.
Obscurum per obscurius, ignotum per ignotius, dit la devise alchimique. Cette ignorance est tout un art. Elle demande un effort de connaissance considérable et sauter dans le vide, sans l’expérience et la compréhension de nos propres lois mentales (notamment la croyance en une solidité du sol), conduit au fait que l'on s'écrase. Sinon, pourquoi les cultures humaines auraient à inventer des traditions, des rites, des filiations, des relations maitres-disciples ? L’apprentissage de la Magie Inconnue passe donc aussi par un effort pratique et nécessite avant tout, selon moi, un phénomène de lignage et de transmission, par lequel on VOIT comment cela opère. [...]
Pourquoi les saints seront-ils toujours plus doués pour les miracles que les magiciens, qui pourtant y prétendent et le claironnent ? La réponse est simple. L’enseignement du dragon nous a mis sur la piste d’une compréhension technique et ontologique du positionnement mystique. Si le mystique, dans le christianisme, obtient des dons ou possède des pouvoirs, c’est non par inadvertance et accident, mais en vertu d'un positionnement ontologique clair et précis.
Certes, un mystique ne semble guère se préoccuper du pouvoir et ne tente pas non plus de manipuler des forces cosmiques afin d’obtenir des effets particuliers conformes à sa volonté. Mais c'est là toute l'efficacité technique de son placement du point de vue magique. De part la relation que le mystique établit avec le non-moi, c'est-à-dire dans l'oubli de sa volonté propre, l’effet du retournement de la conscience, le “ne pas faire des choses”, produit de nombreuses manifestations magiques, que l’on nomme miracles dans le cas du mystique. Ce qu'on appelle les pouvoirs, ou simplement la mise en activité des forces de l’univers, apparait donc comme accueilli par cette racine fondamentale, dénuée de réflexion et d'intention.
C’est ce que nous nommons la magie du sommeil profond ou magie inconnue.
Déclinés abondamment dans les écrits de Jean-Luc Colnot, des termes tels que : être sans être, vouloir sans vouloir, faire sans faire, non négation, vide de vide, conscience sans conscience, connaître sans savoir... renvoient à quelque chose de trés précis et sont autant de variations subtiles d'une même opération : la veille du sommeil profond et le sommeil profond de la veille, celui-là même que les yoguis hindous appellent jagrat-sushupti (de jagrat, veille et sushupti, sommeil) et que Saint-Bernard nomme joliment : vigilant sommeil.
Les écrits mystiques occidentaux sont remplis d'expressions, indicatrices de cette opération. “Je dors mais mon coeur veille”, s'exclame le Cantique des Cantiques, unissant veille et sommeil. Dans le Livre Divin de Attar, l'Aimé, qui représente la veille, ne tarit pas d'éloge sur le sommeil de son Ami Ayaz : “ Merveille de beauté, maintenant que tu es revenu à toi, je m'en vais. Dans le sommeil tu étais inconscient, tu étais au-dessus des éloges possibles. Mais aussitôt que tu revins à toi l'aimé disparut.” C'est l'instant amoureux où la conscience devient indésirable, comme dans l'adjuration du Cantique des Cantiques : “Je vous adjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, n'éveillez pas, ne réveillez pas ma bien-aimée“. Cette dormition de l'âme, voie mariale par excellence, dirait le chrétien, est la mise en abîme qui rend sensible au-delà du sensible et connaissant de ne plus savoir. Elle trouve son point culminant dans la mystique apophatique de Denys qui ouvre toutes grandes les portes de l'Inconnu : “C'est cette parfaite inconnaissance, prise au meilleur sens du mot, qui constitue la connaissance vraie de celui qui dépasse toute connaissance.”
Mais du coté des magiciens occidentaux, la peur de découvrir qu'on est rien d'objectif, l'angoisse que suscite l'impossibilité de saisir l'inconnu par la seule force de l'imagination et de la volonté a réussi à occulter complètement l'arcane du vigilant sommeil qui accomplit sans faire. C'est pourquoi, lorsque les mages et sorciers occidentaux s'interessent aux états de conscience, ils semblent n'avoir plus d'interêt que pour l'état de veille ou pour l'état de rêve et leurs variations, c-à-d des états centrés sur la forme et le nom. La connaissance du sommeil profond est quant à elle complètement omise.
C'est sans doute l'apport majeur de cet ouvrage que de réintroduire l'arcane du vigilant sommeil dans le champ opératif de la magie, où l'art du grand oubli est une opération si nécessaire. Jean-Luc Colnot n'en donne pas l'explication, il en applique seulement le principe, le montre jusqu'à l'incruster dans la forme même de son écriture, attirant toute notre attention.
La Magie Inconnue commence donc précisément à ce carrefour. Orné d'oxymores, le vigilant sommeil, l'obscurité lumineuse où l’âme sans étude apprend et connaît mieux, se base essentiellement sur des mises en abîme et l’oubli de toutes choses connues ou intentionnelles.
Rappelons ce que sont la mémoire et l'oubli. Selon les traditions mystiques anciennes, la mémoire n'est pas un simple entrepôt où s'archivent en vrac nos souvenirs. C'est un centre de tri où les éléments sont classés par ordre d'usage et de réactualisation possible.
Or, le classement le plus important, la dignité la plus élevée de la mémoire est la chambre noire de l'oubli. La faculté la plus active de la mémoire, c'est l'oubli.
Des chrétiens comme Jean de la Croix ont toujours vu cela et entraîné la faculté de mise en oubli comme nécessaire à l'expérience mystique : “En toutes les choses qu'il ouïra, verra, sentira, goûtera, ou touchera, n'en faire aucun registre particulier, ni réserve en la mémoire, mais qu'il les laisse aussitôt s'oublier. Qu'il s'y mette avec l'efficacité, si c'est nécessaire, que d'autres mettent à se souvenir”.
Du côté de la magie, la capacité à mettre en oubli une opération est également très importante, puisqu'elle constitue le lâcher-prise nécessaire à sa projection. Mais faute de connaissances techniques et d'entraînements à la faculté d'oubli et au vigilant sommeil, nombre d'opérations magiques échouent.
Dans la même optique et pour revenir aux fameux pouvoirs magiques, il est clair que moins nous souhaitons les développer, tandis que nous avançons en territoire numineux, plus ceux-ci se renforcent dans le “ne pas faire” de leur développement, jusqu'à atteindre ces instants de miracles qui font la vie des saints.
L’oubli conscient d’une volonté la redirige vers un champ de possibles plus ouvert que celui de la conscience personnelle (ou égo). C’est ce que nous nommons tirer une flèche magique, dans le sens de cette tradition. Le déploiement oublieux d’une non-intention ou intention-fine dans le domaine des possibles, avec bien entendu toute la technicité requise (c'est-à-dire notamment en identifiant tous les phénomènes de récupération), permet d’obtenir des changements conformes au Vouloir Vrai. Dans la tradition du dragon, Il faut donc entendre le terme d'efficacité magique comme la juste réponse de l’univers à l'expression non-volitive et non-localisée.
Certains diront qu’il suffit de s’abandonner aux « vents cosmiques du vide », afin de maîtriser cette magie. Dormir ce que nous faisons suffirait à rajouter le poids ontologique de l'absence de localité à nos actes. Ignorer la magie suffirait à se l'approprier. Bien entendu, cela n’est pas aussi simple et la Magie Inconnue n'est l'excuse d'aucune de ces paresses.
Obscurum per obscurius, ignotum per ignotius, dit la devise alchimique. Cette ignorance est tout un art. Elle demande un effort de connaissance considérable et sauter dans le vide, sans l’expérience et la compréhension de nos propres lois mentales (notamment la croyance en une solidité du sol), conduit au fait que l'on s'écrase. Sinon, pourquoi les cultures humaines auraient à inventer des traditions, des rites, des filiations, des relations maitres-disciples ? L’apprentissage de la Magie Inconnue passe donc aussi par un effort pratique et nécessite avant tout, selon moi, un phénomène de lignage et de transmission, par lequel on VOIT comment cela opère. [...]
Morgan, 2009
Extrait de la préface de Magie Inconnue par Jean-Luc Colnot. On peut le commander en cliquant ici.
8 commentaires:
\o/ youpie
Saludos desde Bolivia amiguitooo
Bonjour,
Animant un forum de magie, j'aimerais bien savoir si ce livre est toujours disponible ?
Bien à vous
Bonsoir,
Je pense qu'il peut effectivement y avoir quelque chose d'opératif dans certains de vos écrits à ce que j'ai pu lire. Tant mieux!
Je ne serai peut-être plus dans cette dynamique dans quelques mois, mais merci pour les informations, et votre réponse rapide.
Bonjour
Merci de votre réponse rapide.
A ce que j'ai pu lire, certains de vos écrits contiennent effectivement une forme de transmission.
Bien à vous
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