[Cet article fut à l'origine publié le 21 décembre 2009 sur le blog Kallawayan Cani]
Ce qui suit n'est pas spécialement kallawaya mais concerne l'ensemble du monde andin et de ses cultures. Bien entendu, en sa qualité d'homme andin (runa), le kallawaya est également très influencé par cette vision cosmologique propre aux Andes.
Les traditions andines sont basées sur un calendrier agraire marquant les fêtes sacrées. Deux cycles sont pris en compte pour le calcul de ce calendrier. Le premier est le cycle solaire, que résume la chakana solaire à deux degrés et le second, cycle lunaire, est quant à lui représenté par la chakana lunaire à trois degrés. Lorsque l'on observe la chakana solaire, on constate qu'elle forme une roue à huit rayons dont le moyeu, taypi, est vide. Chaque extrémité de ces rayons correspond à une fête sacrée andine. Sur le dessin ci-dessous, on peut remarquer la correspondance des angles de la chakana avec les huit fêtes sacrées.
Sur ce dessin, les noms des fêtes andines sont en langue aymara. Nous sommes actuellement le 21 décembre, ce qui correspond dans notre calendrier sacré au solstice d'été, milieu de l'année andine. Pour tous les indigènes, le 21 décembre est la fête où l'on célèbre l'abondance. En langue quechua, cette célébration porte le nom de Capaq Raymi ou fête du pouvoir solaire. En ces jours, on sortait autrefois les momies des empereurs incas pour les promener dans la cité sacrée de Cusco - nom qui signifie nombril (du monde) en quechua - afin de boire et communier avec elles. On recueillait aussi la cendre de tous les lieux sacrificiels pour la jeter à la mer, la rendre au dieu Viracocha.
Un grand nombre de principes sacrés sont associés à cette fête, qui est aussi pour nous, comme dans l'hémisphère nord, le moment de l'année où la nuit est la plus longue. Autrefois, c'est cette date qu'avaient choisie les incas pour célébrer la fameuse initiation de Warachikuy, par laquelle on passait de l'adolescence à l'âge adulte (à 15 ans), tout comme le soleil de cette période de l'année atteint la maturité.
Mais ce qui m'amène aujourd'hui à parler du 21 décembre est un autre aspect de cette fête, un aspect qui maintenant, avec l'influence du calendrier grégorien et des fêtes chrétiennes, n'est plus célébré le 21 décembre comme c'était le cas aux temps anciens, mais le 24 janvier. Je veux parler bien sûr de la fête d'Alasitas, mot qui signifie "achète-moi".
Ce jour-là, on fête l'abondance en honorant un petit dieu du nom d'Ekeko, un équivalent du dieu grec Éros. L'Ekeko est une déité propre à la sphère locale bolivienne ; on ne le trouve que rarement au Pérou par exemple. Originaire probable de la culture Tiwanaku, c'est un dieu de la fertilité et de l'abondance, représenté sous la forme d'un nain débonnaire et joufflu, chargé de victuailles, de sacs de graines et de tout ce dont les hommes et les femmes pourraient avoir besoin pour vivre. Ekeko est aussi chargé de recevoir tous les voeux représentés par les illas, amulettes représentant en miniature ce que l'on souhaiterait obtenir dans les années qui viennent. Une légende unit étroitement l'Ekeko à la culture kallawaya, puisqu'on raconte que l'Ekeko ne serait rien d'autre qu'un kallawaya entré dans l'histoire et déifié pour son efficacité et son extrême gentillesse. C'est ainsi que Portuga Zamora nous parle de l'idole de Kiko, personnage originaire de Curva, magicien et prophète de très petite taille qui aurait donné son nom au dieu andin Ekeko. C'est qu'il existe toutes sortes de illas ou amulettes dans le monde andin (Yapu illa, illa ampara, uywa illa, qala illa, illa mullu, illa wayruru, kuti wayna illa, tari illa, warmi illa, quta illa, etc) et il est probable que le kallawaya de Curva dont nous parle Zamora ait été une sorte de Runa illa, une personne-amulette, pourrait-on dire, dont l'énergie porte-bonheur était suffisante pour pouvoir lui permettre d'aider d'autres personnes à exaucer leurs voeux. Pour définir ce qu'est une illa, une amulette, nous pourrions dire qu'il s'agit d'un attracteur d'énergie pouvant être constitué de pierre, d'os, de couleur, de plantes, de semences ou même, nous venons de le voir, de personnes portant bonheur. Dans la tradition kallawaya le terme d'amulette est plutôt exprimé par les mots Khochqa ou encore waqanqui. Il en existe de deux sortes : Les Illas proprement dites qui sont des représentations miniatures d'un souhait et les Sepjas, dont les éléments qui la composent sont nettement plus symboliques. Selon la cosmovision kallawaya, les Machulas ou ancêtres déifiés, portent sur leurs ponchos toutes sortes de symboles dont s'inspirent directement les amulettes des médecins andins. De toute évidence, à la source d'une Sepja, dont l'origine remonte parfois à des temps fort anciens, il y a la vision proprement chamanique qu'un kallawaya a eu de ses Machulas.
Evo Morales, président de la Bolivie, tient dans les mains une représentation de l'Ekeko.
Quoiqu'il en soit, à La Paz, aux alentours du 24 Janvier, on installe des marchés particuliers où l'on peut se fournir en illas. C'est probablement cet aspect marchand qui a donné son nom à la fête d'Alasitas, "achète-moi", en même temps que le terme n'est pas sans rappeler le principe cosmosophique andin de réciprocité. Tous ces objets sont des représentations miniatures de maisons, de bétail, de fiancés ou même de cartes bancaires et de liasses de billets. Une fois acquises ces miniatures ou illas, de préférence le 24 Janvier à midi pile, on les fait bénir par un prêtre, puis par un chaman (yatiri ou kallawaya), avant de les présenter à l'Ekeko selon les rites prescrits. L'Ekeko est le maître et le gardien des illas. Il faut voir dans ce folklore quelque peu marchand et déformé un symbolisme simple et pratique dont certains chamans andins ont su néanmoins conserver le sens profond. Le 21 décembre, en sa qualité de fête des illas ou illa raymi, est une période d'implantation des voeux et des rêves, non seulement individuels, mais aussi collectifs, voire cosmiques. Le rêve, l'aspiration, le souhait est perçu par l'indigène à l'image d'une graine qu'il implante dans l'univers pachasophique afin qu'il y soit fécondé et passe du stade non-manifesté au stade manifesté. Or, le catalyseur de tout ce processus est la illa.
Bien que cette conception soit générale dans tout le monde andin, je signalerais, pour terminer ce court exposé, que les kallawaya disposent de leurs propres illas, créées à partir d'un symbolisme ancestral et de cérémonies particulières destinés à cet usage. Les illas et sepjas préparées et bénies par les kallawaya ont la réputation d'être particulièrement efficaces, étant donné l'exceptionnelle continuité de leur tradition et la haute considération dont ils jouissent dans tout le monde andin, depuis des temps aussi lointains que les incas et, bien avant, la culture Tiwanaku.
Mii Shana, amulette kallawaya en forme de cube. Les franges représentent la force magique de la main.
En résumé, la Illa est une invitation à l'accomplissement du rêve. L'homme andin, le runa, doit être porteur de rêves et les implanter par l'intention fine dans la Pachamama, comme nous autres kallawaya le faisons encore de nos jours. On apprend beaucoup de ses propres aspirations lorsque l'on est à l'écoute active des rêves et c'est pourquoi la cosmovision andine attribue une fête sacrée particulière à la reconnaissance et à l'implantation des rêves. Autrefois célébrée le 21 décembre, cette fête a maintenant lieu le 24 janvier.
3 commentaires:
Ce message s'autodétruira après lecture (enfin je l'espère)
Juste pour dire que toute cette série d'article est vraiment bien.
Bémol, j'arrive pas à écouter les enregistrements. Cas isolé ???
Jaïs, tu peux vérifier pour les k7 stp ?
Bonjour Anonyme,
Les enregistrements audio sont au format RM, un format lu par RealPlayer, ou grâce au MediaPlayer Classic avec un bon pack de codecs (Satsuki Decoder Pack, par exemple).
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